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 4.2 Norbert : quand un professeur découvre « les » langues françaises

4- Témoignages subjectifs des acteurs

 

 Lorsque l’IFM m’a demandé de travailler sur ce projet de j’ai accepté sans trop savoir où je mettais les pieds. Pour moi c’était déjà un honneur qu’on me le demande et un défi qui en principe ne devait pas être trop dur à relever. Je travaillais dans le monde de la musique et « composer » en quelque sorte la « bande sonore originale » du projet me semblait à tout le moins une tâche assez simple.  Je me suis trompé : c’est un projet qui avait un début mais qui n’a pas de fin. Les richesses que j’y ai trouvées, les histoires que j’ai lues, les témoignages qui m’ont été offerts et les que j’ai découvertes vont longtemps bercer mon cœur d’un bonheur sans pareil.  J’ai des histoires à raconter, des anecdotes à proposer et des conclusions à tirer. Mais avant de les tirer et si tant est que je puisse le faire, je voudrais juste parler un peu de moi (si vous savez imiter l’accent pied-noir lisez ce qui suit en y mettant l’accent).

Je suis né interculturel, j’ai grandi interculturel, j’ai travaillé  et je travaille encore interculturel… J’en ai été nourri, bercé, ému, déçu, enthousiaste, récompensé… J’étais le M. Jourdain de l’interculturel qui en faisait sans le savoir. Ou tout au moins pas comme il se devait. Depuis le jour où j’ai commencé à participer à ce projet, je me suis senti comme dans ce bain dans lequel j’ai été trempé et dans lequel je trempe encore : mon interculturel à moi, fait de tous les apports des autres, fait des autres avant tout et, un peu, fait pour les autres.

Je suis né en et y ai vécu quelques années, le temps de garder en mémoire ces choses terribles qui eurent lieu entre la mer et le désert. Mais également de conserver des odeurs interculturelles, des expériences interculturelles qui m’ont servi pour ce projet et me servent encore dans un quotidien où je suis sans cesse confronté à d’autres langues et à d’autres cultures. Puis il y eut cette arrivée en , traumatisante, au des « patos » où l’on parlait une langue pointue, qui nous avait obligés à abandonner notre et à inventer un mot : « Là-bas ». « En c’est pas comme là bas, mon frère ». Et nous ne fûmes pas accueillis à bras ouverts. Nous passâmes de l’ignorance de nos pieds-noirs à en avoir tout d’un coup de très sales !

Mais bon, Là-bas nous parlions une même langue, les natifs comme ceux venus d’Espagne (de celle de 1492 à celle de 1939), d’Alsace, d’Italie, ou d’ailleurs : le français ; un français truffé de mots étrangers jouant jour et nuit avec des expressions qui lui étaient au départ totalement étrangères et qui s’étaient peu à peu incrustées en lui, lui donnant une richesse telle, une verve telle que j’en pleure de rage de pas avoir pu noter ou enregistrer tout cela quelque part lorsque mes parents ou leurs amis de ce Là-bas évoquaient à chaque rencontre leurs merveilleux ( ?) souvenirs.

Puis il a fallu s’enfuir. Nous eûmes la chance de trouver des places sur le pont d’un bateau en partance pour Marseille. Je vais essayer de restituer le petit échange que nous eûmes ma grand-mère et moi, le deuxième soir de notre traversée, lorsqu’elle s’exclama « Ces lumières, là-bas, en face, c’est chez nous ! » :

-           Nous sommes revenus en  ?

-           Non, mon fils, ce sont les Baléares, des îles espagnoles !

-           Nous sommes des Baléares ? Nous sommes espagnols ?

-           En quelque sorte oui, oui et non…

-           Mais je suis français, non ?

-           Oui et non…

-           Algérien ?

-           Oui et non… (le sourire de plus en plus marqué sur ses lèvres, et moi ne comprenant rien).

-           Je suis pied-noir…

-           Oui et non…

-           Arrête, Mémé (on ne disait pas Mamie à l’époque), je suis quoi, moi ?

-           Tout cela à la fois, mon fils !

Nos ancêtres espagnols avaient été chassés de la péninsule en 1492, l’Espagne était leur paradis perdu, leur langue leur refuge pendant de nombreux siècles, l’ le paradis retrouvé.

Avec le temps, je décidai de suivre des études d’espagnol et d’aller vivre en Espagne. J’y suis depuis plus de trente ans. Une autre aventure dans une autre langue, si proche et si éloignée de la nôtre, qui m’a permis de vivre des moments intenses, historiques et merveilleux, finalement à peine entachés par un quotidien pas toujours facile. Je suis traducteur et professeur.

J’ai mené pendant plus de 10 ans des travaux pour la Commission européenne pour aider à la constitution d’une base de données multilingues destinée aux traducteurs de l’Union. En neuf langues, puis en 15. J’y ai appris par exemple qu’il n’y avait pas de mines de charbon au Danemark, mais que les traducteurs danois devaient obligatoirement traduire dans leur langue des termes qui n’existaient pas chez eux. Un expert, fort de dizaines d’années d’expérience dans les mines d’ du Sud, créa de toutes pièces la terminologie du charbon dans la langue de l’auteur de La petite sirène. Le même phénomène se produisit pour l’énergie nucléaire au Portugal, le cadastre et la chaussure en Grèce (terminologies de tradition orale), etc.

Pendant quelques années j’ai abandonné l’enseignement et la traduction pour me lancer dans la production musicale. J’ai adapté de grandes chansons françaises en flamenco (Chanson Flamenca), rendu un hommage à Edith Piaf, Chantée et dansée par Ana Salazar (A.Salazar canta a Edith Piaf), ou encore à Gainsbourg, interprété par des cubains (Gainsbourg Latino), et à Ferré chanté par le grand interprète espagnol, Amancio Prada (Vida de Artista)… Des réussites et des échecs mais un immense travail d’adaptation interculturelle. Le chanteur Flamenco qui devait interpréter Ne me quitte pas de Jacques Brel en espagnol accepta de chanter « l’ombre de ton ombre, l’ombre de ta main, mais pas « l’ombre de ton chien », ça non !

C’est certainement présomptueux de ma part que d’évoquer tout cela, mais c’est en fait ce qui d’une manière très naturelle m’a conduit vers ce projet et vers la découverte d’autres , d’autres parlers ou chanters en français qui montrent la force d’une langue dont on dit qu’elle est en perte de vitesse, qu’elle n’a plus la place qu’elle avait. 

On ne nous enseigne pas toutes ces dynamiques et vivantes. On ne m’avait jamais dit que l’interculturel était possible dans ma propre culture, qu’il pouvait même se manifester entre générations au sein d’une même famille, que ce n’était pas seulement une question de relations entre langues étrangères. On ne nous apprend qu’une langue standard que nous enseignons à notre tour et qui n’a pas vraiment grand-chose à voir avec les parlers « réels ». Ce n’est que par intérêt personnel, par curiosité ou par amour de la langue qu’on se penchera sur les glissements de sens des mots et expressions d’un à l’autre, d’une région à l’autre, qu’on pourra aller voir ailleurs ce qui se dit ou ce qui se chante, ou tendre l’oreille et écouter l’autre nous parler dans notre langue sans que nous ne la comprenions tout à fait… C’est tout cela que ce projet m’a permis de découvrir en partie tout en prenant conscience que ce n’était pas d’une langue dont je parlais, ce n’était pas une langue que je pouvais parler, mais une multitude d’entre elles, aussi riches les unes que les autres, capables de nous surprendre et de nous enchanter à chaque instant.

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